My loneliness needs loveliness

So in the end, I'll be what I will be

"C’est marrant, parfois je parle de mon histoire avec Émilie autour de moi et la plupart du temps on me répète la même chose : que c’était une histoire de sexe, rien d’autre, il ne fallait rien en attendre de plus. Mais comme si ça se choisissait de tomber amoureux ? On ne dit pas "tomber" pour rien".

C’est ce que je me suis dit en épluchant les carottes, remplissant assez la marmite pour avoir de quoi me nourrir plusieurs jours. Il est étrange comme je prends plus de plaisir à ce genre de corvée : se laver, faire à manger, nettoyer la litière des chats. Je rechigne toujours à le faire mais au final je m’amuse bien plus qu’en restant planté devant l’ordi à jouer à des jeux répétitifs. La différence c’est que quand je suis devant l’ordi je me concentre assez pour ne plus penser à rien d’autre. Quand je découpe des pommes de terre mon cerveau a loisir de penser à ce qu’il veut, la réalité revient trop vite, c’est pourquoi j’ai besoin de m’emmitoufler dans un livre, dans le pc, sous ma couette, partout ou il est possible d’échapper à cette réalité.

J’ai repensé à mes écrits d’hier sur mon enfance, cette activité procure l’avantage de stimuler la mémoire. Je me suis souvenu de ce passage avec Audrey sous le buisson plus distinctement. Elle avait écrit un "C" et je lui avait dit "c’est pas moi alors", ce à quoi elle avait répondu "pourquoi ? Sébastien ça s’écrit avec un S ?" - "Oui".

Parfois je me dit que le cerveau garde trace de tout, qu’il est possible de tout retracer, de se souvenir de tout. Il suffit de le vouloir. Serais-je prêt à nouveau à m’ensorceler et voyager sans fin dans mon cerveau ? Revenir en arrière, le plus loin possible, tout décrire, tout rechercher. Comprendre pourquoi je suis comme je suis. Tout reprendre à zéro, tout réécrire, peut importe combien de centaines de pages j’ai déjà noirci, il existe toujours un autre souvenir, si je l’écrit son souvenir me reviendra distinctement et le lendemain je le reverrai plus net, je pourrais corriger les éventuelles erreurs de l’injure du temps, un autre viendra, puis encore un autre. Fais juste attention, Seb, à ne pas partir trop loin, tu ne voudrais pas redevenir faible comme un enfant, ne t’immerge pas indéfiniment. Et si les souvenirs ne viennent pas, ne force rien surtout, laisse les venir à toi, il n’y a qu’ainsi qu’il resteront véridiques. Ton cerveau garde trace de tout, tu le sais. Tu aimerais retrouver ce qu’il s’est passé avant tes cinq ans n’est-ce pas ? Tu n’as que très peu de souvenirs de l’école maternelle. Tu étais un enfant à a fois discipliné et rebelle, tu n’avais pas peur des adultes, tu leur disais la vérité et aimais les choquer. Tu ne voulais pas apprendre à faire tes lacets et prenais la maîtresse pour une tarte en les enroulant bêtement "Madame j’arrive pas !" Ton copain t’imitais. Parfois tu allais chahuter les plus petits que toi, mais souvent après tu regrettais. La maîtresse avait raconté une histoire passionnante à propos d’un loup qui souffle très fort, puis il avait fallu faire la sieste à même le sol, mais tu ne trouvais pas facilement le sommeil. La pièce était sombre et la femme de ménage t’intriguait. La nourriture de la cantine était infecte, il avait fallut faire la grève de la faim pour que maman choisisse de revenir te chercher entre les midis. Le temps s’écoulait très lentement et il semblait qu’un moi équivalait à une année. C’était avant d’avoir cinq ans, avant la cours des grands.

Après cela il avait fallut subir l’autorité des adultes, les haïr en cachette, pas les femmes, elles étaient toutes gentilles, les hommes, eux, étaient méprisables, sans pitié, j’ai compris que la meilleure méthode pour afficher ma rébellion sans trop me faire tirer les oreilles consistait à ne plus travailler. "Le maître n’a pas été gentils avec moi, je refuse de faire son dessin, il ne le mérite pas !" Les leçons à apprendre par cœur étaient d’une bêtise sans borne, je parvenais à les retenir quand je m’en donnais la peine mais je n’en comprenais pas traitre mot. Le jeu et l’amusement avait disparu complètement, au CP et au CE1 cela allait encore, la maîtresse était adorable, mais au CE2 cela n’avait plus rien à voir : discipline, se tenir droit, en rang, assis, debout, silence. Je trouvais tellement absurde le fait de devoir rester debout à regarder le mur devant moi et attendre que le maître ait fini de ranger ses affaires pour nous dire enfin de nous asseoir en début de chaque cours que je faisais presque exprès de me tenir n’importe comment, appuyé sur ma table, je tentais de faire le pitre un petit peu mais cela ne fonctionnait plus : les autres enfants jouaient tous le jeu, ils restaient droit et obéissants. Mes âneries ne les faisaient plus rire. Quel lavage de cerveau leur avait-on fait subir pour qu’il changent à ce point de comportement d’une année à l’autre ? Cette nouvelle année scolaire s’annonçait très difficile, je ne croyais pas si bien dire. Je leur en ai voulu, aux autres élèves, de se laisser mater par ce vieil homme méchant, je m’en suis voulu à moi, de me sentir si ridicule et différent. Les rires avaient beaucoup changé, on se moquait de moi quand j’étais en échec, non plus quand je faisais volontairement le clown. J’ai bêtement attendu les années à venir, espérant que la logique reviendrait chez les autres enfants. Hélas, la situation ne ferait que s’empirer. Ainsi va la vie, on vous fait croire au bonheur sans condition quand vous êtes petit enfant, puis vous subissez destitution et désillusion, sans cesse, toujours pire, il allait falloir galérer longtemps avant de retrouver un semblant de havre de paie, lorsqu’arrivé dans mon deuxième lycée, je parviendrais à redevenir ce pitre rebelle, estimé de ses confrères pour son habileté à défaire les pensées communes, renvoyer la réplique à l’autorité, sans ciller et en croyant profondément à ce que je disais. Il allait falloir attendre de retrouver un climat plus favorable, que les autres enfants soient de nouveau prêts à accepter la douce rébellion.

Je sent que j’idéalise de plus en plus et tire des conclusion affabulées, je ferais mieux de m’arrêter ici pour ne pas découdre mes souvenirs.