My loneliness needs loveliness

Réminiscences de l'école primaire

A cinq ans on a encore le bénéfice du doute. Dans le petit jardin de la maison d’enfance, sur la balançoire, j’ai commencé à douter et à me poser des questions "je veux plus retourner là bas" mais il semblait que je n’ai pas le choix, il fallait suivre le moule et faire comme les autres. L’effet inverse ne tarderait pas à devenir mon modèle : plus il faudrait faire comme les autres, plus je me marginaliserais.

A cinq ans je me suis fait cette promesse : "s’il ne m’arrive rien de vraiment intéressant avant l’age de huit ans, je prendrais le couteau dans le tiroir de la cuisine et je l’enfoncerai dans mon ventre". Atteindre l’age de huit ans me paraissait si lointain et incertain que j’étais d’emblée rassuré, c’est que je ne voulais pas démentir cette promesse.

Mes souvenirs d’amitié avec les filles et d’amours enfantins sont nombreux, flous, toujours relatifs à l’école et aux vacances. Ce dont je suis sûr c’est de n’avoir jamais fait le premier pas. Au CP, je revois une scène : à la sortie de la classe on se précipite tous dans le couloir pour récupérer nos manteaux sur le porte manteaux. Je me fais encercler par plusieurs filles, toutes contentes, elles veulent m’embrasser sur la bouche. Je dis non un peu mollement "c’est sale", elles négocient, me propose juste un bisou avec une seule d’entre elles, "sur la joue", je fini par céder et en choisi une qui m’attrape la bouche et me bave dessus en prime.

Ce fameux cadeau venu du ciel est arrivé. Celui que j’espérai recevoir avant mes huit ans et qui devait me redonner goût à la vie et renoncer au suicide.

Au camping des PTT près de la mer méditerranée. J’ai une copine de cinq ans avec qui je passe toutes mes journées, nos parents nous trouvent trop mignons ensembles, ils me disent "toi tu sais lire et elle sait nager". On prends notre douche ensemble tout les soir à 18h, on se lave l’un l’autre. Après on va au théâtre en courant à travers les fougères, par la porte de derrière, l’ouvreuse nous laisse rentrer. On s’assieds au premier rang et je vois mon père sur la scène en train de jouer le rôle d’un ivrogne, la scène suivante il est contrôleur de train. L’après-midi, caché sous un kiosque on s’amuse à surprendre les passants en montrant mon zizi, moi je dégaine et elle leur dit "regardez". Ma timidité disparait à ses côté, et c’est la première fois qu’une fille me tripote le zizi. On va à la plage, à la piscine, à la salle de sport. Un beau jour ses parents ont été au courant qu’on "s’était lavé le zizi et la zezette" sous la douche. Ils nous avaient autorisé à nous laver ensemble dans la mesure ou chacun s’occupait de son intimité, mais au cours de la dernière semaine de vacances, nous avions dérogé à la règle. Il fallut de nouveau se laver seul, ce qui avait tendance à régresser fortement le soin que j’appliquais à mon hygiène physique. Le souvenir le plus marquant, qui restera une trace indélébile de ma nostalgie d’enfant et d’adolescent, c’est un après-midi, pas loin du théâtre. On est dans les hautes herbes fleuries. On se rigole l’un à l’autre, d’un rire inextinguible qui prends sa source dans ton visage à travers le miens. C’est un idyle : on en revient pas d’être aussi heureux et on ne saurait pas expliquer pourquoi. J’ai idéalisé ce souvenir comme le moment le plus heureux de tous. La part d’enfant véritablement innocent auquel j’avais encore droit. On s’était promis qu’on ne s’oublierait jamais et que ça serait trop dur d’attendre deux ans avant de se revoir.

Deux ans plus tard : la déchéance. On s’est revu dans ce même camping, et elle m’a royalement ignoré, elle a bien vu que c’était moi, j’ai bien vu que c’était elle, mais elle a tourné son regard et continué de parler avec sa copine, je n’existais plus. Le camps de vacances magique et paradisiaque s’était transformé en enfer sur terre, enfer à broyer du noir et de la douleur, je suis resté tout seul tout le temps pendant ce long mois de vacances, j’ai pu recommencer à maudire l’humanité, tout doucement, en gardant une part équivalente de haine envers moi même, dont je ne comprenais plus le but d’exister. La simple présence ou absence d’une seule personne pouvait tout changer. Pendant les années qui ont suivi j’ai pris un soin tout particulier à repousser fortement les filles qui tentaient de s’approcher de moi. Je constatai que plus les années passaient, moins elles insistaient et moins je me laissais faire. Il allait bientôt falloir se résoudre à considérer que les relations amoureuses n’étaient pas faites pour moi.

A huit ans je réalisais un peu tard que le père Noël n’existait pas, un an plus tard je comprenais que Dieu aussi était un mensonge d’adulte. S’inventer des personnages pour se rassurer ou faire rêver, cela me paraissait une bonne idée, je décidait d’inventer mes propres dieux, symbolisés par des icônes sur l’étagère de ma chambre : un petit coussin, un galet, une tours Eiffel miniature… Je leur donnais des noms hirsutes et leur associais à chacun un thème. Il ne fallait jamais les toucher au risque de leur faire perdre leur pouvoir et il fallait leur adresser une prière à chacun, aussi souvent que possible, pour les sublimer et qu’ils continuent de prendre soin de moi.

Il semblait que je n’étais pas heureux, ma mère me l’a toujours dit : "avant d’aller à l’école tu parlais et souriais tout le temps, c’est arrivé au CP que tu as commencé à faire la tête". Dans la salle à manger elle m’avait dit cette phrase qui m’avait beaucoup marqué : "Certaines personnes ont une enfance heureuse mais sont malheureux une fois adulte, et pour les autres c’est l’inverse". Je vis un psychologue une fois par semaine, ce dernier gardais son calme et restait souriant, malgré mon mutisme ou mes répliques strictement défaitistes. Il semblait que je sois un enfant très intelligent, pourtant mes notes étaient au plus bas et je méritais plutôt le bonnet d’âne. Pendant la récréation je tournais en rond, je faisais le grand tour de la cours en marchant lentement et en regardant par terre. Il arrivait parfois qu’un égaré tente de me parler et de m’accompagner dans ma marche monotone, mais je n’avais rien d’autre à partager que mon cafard et mon mutisme, même les plus récalcitrants finissaient irrémédiablement par renoncer à ma compagnie.

Audrey parvenait à me parler. Je me souviens d’un jour, toujours dans la cours de récréation, nous étions sous le buisson le long de la grille, elle m’avait annoncé qu’elle était amoureuse d’un garçon de sa classe et qu’elle ne savait pas s’il l’aimait en retours. Je l’enquérais sur son identité mais elle n’osa pas me répondre, elle traça l’initiale de son prénom dans la terre. un "S". Nous étions dans la même classe et j’étais le seul garçon dont le prénom commençait par un S. Ma gêne était immense, plutôt que de rougir et d’accepter sa déclaration, je feint d’ignorer de qui il s’agissait, je lui souhaitai bonne chance dans son amour, alléguant que sa gentillesse finirait par transcender le petit homme en question. Elle semblait déçue mais ne renonça pas, les années suivantes elle continuait de venir me voir de temps en temps, on jouait aux billes et elle me faisait gagner systématiquement, même quand je perdais elle me donnait ses billes de terre. La plupart des autres enfants étaient d’une bêtise affligeante, seules les filles semblaient atteintes de sensibilité. Je voulais être l’une d’entre elle, je voulais leur ressembler. Mais ma mère me coupaient toujours les cheveux, j’avais beau faire des crises pour tenter d’y échapper, je ne pouvait m’y soustraire. Ma grande sœur m’avait offert un bracelet rose que j’étais tout fier d’arborer. Mais quand mon père l’a vu il me l’a enlevé et je me suis fait engueuler : "Mais pourquoi tu veux porter un bracelet rose ? C’est pas pour les garçons !". Je ne disais rien, je ne comprenais pas. Ce que je comprenais c’est qu’il exigeait de moi un comportement méchant. Il aurait voulu que je ne sois pas si sage, que je me batte à l’école avec d’autres garçons. Surtout pas que je veuille avoir des cheveux long et des bracelets roses aux poignets. Pourquoi les adultes voulaient toujours savoir à notre place ce qui est bien pour nous ? Était-ce inscrit dans mon patrimoine génétique ou cela venait-il du fait qu’on me rabâchait quotidiennement qu’un garçon doit être bagarreur et une fille délicate ? J’avais fini par m’en prendre à un plus faible que moi, je l’avais bourré de coup de pieds devant tout le monde et le pauvre n’avait pas osé se défendre. Sa mère était ensuite venu me vilipender fortement et j’avais baissé les yeux, honteux de mon comportement, pourtant, autour de moi, les autres garçons m’avait félicité, ceux-là même qui la veille se moquaient de moi me montrait soudainement le plus grand respect. Le soir je rentrai à la maison, mes parents avaient été mis au courant, ma mère me disputa et mon père me félicita. Il n’y avait rien à comprendre, sinon que je pouvais réussir à leur faire plaisir à tour de rôle, sois en aillant des bonnes notes, sois en faisant des bêtises. Je décidai de ne jamais devenir ce qu’ils attendaient de moi et de faire des efforts uniquement pour leur faire plaisir. Ma mère semblait déçu quand je lui annonçait que j’avais bien étudié ma leçon de mathématique et obtenu un 16/20 uniquement pour qu’elle soit contente. En fin de compte il valait mieux ne rien dire du tout, les bonnes actions restaient les plus désintéressées, il ne fallait surtout pas s’en vanter au risque de les démolir.